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Le blog de Jean-Marie Allain

Mes Nuits avec Emma B.

9 Janvier 2023 , Rédigé par Jean-Marie Allain

 

Rafaëla DA FONSECA, agrégé de lettres classiques et professeure de littérature à Maubeuge et invitée d'honneur à la cérémonie des voeux, a publié «  Mes nuits avec Emma B. » aux Presses littéraires, un ouvrage qui figure parmi les meilleures ventes en ce moment.

La période de confinement du Covid a marqué la vie de chaque français. Comme l’explique l’auteur dans son avant-propos, le Covid a souvent été l’occasion de découvrir les séries télé … ou d’observer par la fenêtre que le voisin s’était trouvé une vocation sportive ou qu’il se décidait à promener le chien deux fois par jour, quitte à ce que toutou traîne les pattes.

Et pour celles et ceux qui écrivent, cela fut un vecteur extraordinaire d’imagination.

Pour Rafaëla, le Covid  fut ainsi l’occasion de relire « Mme Bovary » de Flaubert …  Mais Rafaëla s’est assoupie pour rêver qu’une diligence gentiment baptisée l’hirondelle l’emmène du Nord vers la Normandie, plus d’un siècle auparavant, où elle est accueillie par Mme Bovary, qui se dit sa tante, et l’appellera Léonor.

La narration se fait donc  selon un procédé cinématographique qui m’a rappelé celui des visiteurs à la différence près, et de taille quand même,  que "les visiteurs" regardent le monde d’aujourd’hui avec les yeux du Moyen Age tandis que, dans le cas présent côté, le lecteur regarde le 19e siècle avec les yeux d’aujourd’hui.

Ce retour en arrière suscite des allers et retours entre l’époque Bovary, celle de l'enfance portugaise de Rafaëla, puis en Normandie  et l’époque actuelle, provoquant un tourbillon  nous faisant perdre parfois nos repères temporels mais toujours prétexte, grâce à son imagination surprenante, à créer des situations tantôt poétiques (cf son regard nostalgique sur la tonnelle des amours d’Emma), tantôt loufoques

Quant à sa plume, elle est brillante, alerte, vive et même parfois tranchante.

Elle se montre ainsi plus cruelle que Flaubert  dans le portrait de Charles, le pauvre médecin et mari d’Emma :

« On ne peut pas dire qu’il était laid, non. Comme dirait ma mère, il de ceux dont on ne dit rien. Ni beau, ni moche. L’éternel figurant. A le regarder du plus près, on comprenait pourquoi Flaubert avait mis du Charal en lui, regard bovin aussi inexpressif que l’œil d’une truite, paupières tombantes fatiguées sans doute d’avoir dû retenir depuis trop longtemps le poids de la bêtise ».

Le moment le plus fort de cette fiction aux allures de conte, c’est cette confidence nocturne que fait Emma à Léonor au retour d’une sortie d’adultère avec  Rodolphe, l’amant qu’a tout de suite jugé Léonor qui le qualifie d’ « allumeur de grand chemin ».

« Rodolphe, c’est comme la peste du temps de Montaigne. Si j’avais dû l’ajouter à mes contacts dans le répertoire de mon téléphone, je me serais juste contenter d’une série de smileys : le petit bonhomme vert tout près de dégobiller. La moitié des grenouilles est en voie de disparition, paraît-il. Si l’on pouvait éventuellement nous débarrasser de certains crapauds ».

Léonor, pour protéger Emma devenue son amie, tente en vain de la dissuader de renouer avec ce Rodolphe pour une relation amoureuse qu’elle sait vouée à la décomposition, à la déception et à la mort.

Tous les protagonistes du livre sont donc des personnages de Flaubert qui ont gardé leur physique et leur caractère mais qui ont été réinventés en quelque sorte par Rafaëla… comme Emma, plus vivante et moins déprimée que la Emma de Flaubert, la reine de l’ennui.

Mais Flaubert n’avait-il pas lui-même réinventé des personnes du réel, en tout premier lieu Emma, personnage élaboré à partir d’une certaine Delphine Delamare, jeune femme aux amants et criblée de dettes qui s’est suicidée quelques années plus tôt et a inspiré le roman Flaubert

S’il y un mot portugais que le lecteur retient, c’est celui de « saudade », mot d’ailleurs accepté dans le Larousse car il est difficilement traduisible en français « Nostalgie un peu heureuse, « le passé heureux qui ne veut pas devenir souvenir », une fenêtre ouverte sur des heures qui furent joyeuses ».

Flaubert disait sur son lit de mort : « Cette pute de Bovary va vivre et je vais mourir comme un chien ».

La réinvention originale d’Emma, sous la plume talentueuse de Rafaëla, tend à donner raison à Flaubert mais peut aussi être un prétexte à redécouvrir ce grand écrivain.

 

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