Manuel et le porc-épic
Manuels Valls découvre à son tour les vertus du peuplement équilibré.
Ces politiques publiques de peuplement sont revenues sur à l’avant-scène de l’actualité depuis les émeutes urbaines de Vaux en Velin (1990)
François Mitterrand déplorait les déséquilibres sociaux et affichait une ambition de la diversité sociale.
Le débat n’est pas nouveau puisqu’au 17e siècle, François Miron, un magistrat conseiller du roi Henri IV, déclarait déjà : « il est dangereux dans une cité d’avoir les maigres et les pauvres d’un côté, les riches et les dodus de l’autre . Cela se pourrait – Sire - que les balles vinssent ricocher à votre couronne ».
Depuis 1990, toutes les politiques publiques de la ville et de l’habitat se concentrent sur cet objectif, utilisant au gré des textes, les notions de « mixité sociale »,de « diversité sociale » ou encore d’ « équilibre ».
La notion de « mixité » est très réductrice car elle renvoie à une bi-présence (actifs-inactifs, français-immigrés, commerce-habitat…) et n’exlue pas par conséquent le déséquilibre.
La notion de « diversité » s’oppose à celle de concentration. Assurément plus forte et moins floue que la mixité, la diversité évoque la notion d’équilibre sans mesurer celui-ci
C’est justement l’intérêt de la notion d ’ « équilibre », notion mathématique qui sous-tend la mesure de la diversité ou d’un groupe humain.
Faut-il mesurer le déséquilibre de l’offre avec les 20 % de logements sociaux (comme cela se fait en France aujourd’hui) ou le déséquilibre du peuplement en prenant en compte les caractéristiques des populations, quel que soit le type de logement ?
Cette seconde option est plus juste dans la mesure où certaines communes (notamment dans les anciens bassins industriels) ont peu de logements sociaux mais une importante population précaire et que d’autres, à l’inverse, peuvent avoir des logements sociaux dans lesquels les locataires sont sélectionnés.
A quelle échelle ? La mesure du constat suppose de préciser l’échelle utilisée : la commune ou le quartier.
Comment mesurer ? Il est possible pour chaque échelle de calculer la moyenne d’une population (taux de chômeurs d’une agglomération par exemple) et de mesurer ensuite l’écart -arithmétique moyen par rapport à cette moyenne.
On considèrera que, pour les communes, tous les taux inférieurs ou supérieurs à l’écart moyen relèvent d’une sur ou d’une sous – représentation.
On compare donc le taux par quartier au taux communal, le taux par commune au taux de l’agglomération (ou mieux du pôle urbain si l’agglomération est multipolaire).
Les incidences les plus remarquées concernent l’affaiblissement de la cohésion sociale : les habitants captifs éprouvent le sentiment d’être assignés à résidence et d’être les victimes d’une logique d’enfermement.
Mais il existe aussi d’autres incidences négatives : détérioration de l’image pouvant rejaillir sur l’attractivité communale, ghettoïsation scolaire, chute des valeurs immobilières, la ségrégation nourrit le communautarisme, fuite accélérée des populations les plus solvables, préjudiciables aux finances communales.
Les raisons qui ont amené à ces déséquilibres ne sont pas les mêmes selon le niveau géographique et le type d’habitat.
Les déséquilibres entre les communes
-
Réforme du financement du logement du logement en 1977 (création de l’APL) qui a incité les ménages bi-actifs à aller faire construire à la campagne
-
Positions politiques des élus qui ont à droite toujours été méfiants à l’égard du logement social et à gauche souvent été gourmands.
Plus récemment, la prise de compétence de la délégation des aides à la pierre privilégie les financements de logements sociaux sur les agglomérations tandis que le secteur rural se voit cantonner dans l’accession non aidée.
-
Les déséquilibres entre les quartiers
Dans un contexte de compétition entre les villes, ces dernières se sont d’abord attachées à l’image et au marketing de leur centre, au détriment des quartiers.
La montée de l’exclusion sociale a d’autre part rendu moins supportable la mixité sociale (la proximité est devenue promiscuité) et, par le biais du développement des déplacements individuels, a incité les ménages actifs à partir vers l’habitat pavillonnaire pour vivre un « entre soi » protecteur. (« on ne chasse plus les pauvres, on les fuit » écrit jacques DONZELOT).
Ces départs ont fragilisé les quartiers populaires (qu’ils soient à dominante d’habitat social ou privé) vers lesquels a convergé une clientèle captive (chômeurs) ou en recherche de regroupement affinitaire (minorités culturelles), alimentant une spirale de la dévalorisation.
Les déséquilibres entre opérations d’habitat social
Il s’agit cette fois d’un déséquilibre organisé.
Personne ne peut contester que les logements sociaux sont attribués par les bailleurs sociaux et qu’ils portent, en accord parfois avec les élus locaux, la responsabilité de politiques d’attributions ségrégatives, au nom de la préservation de l’image de certaines opérations.
Les politiques de peuplement sont donc au cœur des enjeux et peuvent notamment s’appuyer sur la programmation et les attributions.
La programmation de logements sociaux est devenue réglementaire depuis la loi SRU de décembre 2000, complétée par la loi DALO qui, reprenant les préconisations de la LOV, impose le fameux taux de 20 % aux communes dont la population est au moins égale à 1 500 habitants en Ile-de-France et 3 500 habitants dans les autres régions habitants, un seuil minimal de 20 % de logements sociaux (15 % pour les communes percevant la Dotation de Solidarité Urbaine), sous peine de versement de pénalités jusqu’à ce que les objectifs soient atteints, voire de la possibilité pour l’Etat de se substituer aux communes défaillantes.
(Le Parlement a donc voté une loi et en même temps les moyens de la contourner !)
Dans le cadre d’un PLH approuvé, la loi autorise à mutualiser les déficits, c’est-à-dire à construire les logements manquants sur d’autres communes de l’agglomération, qu’elles aient moins de 3500 habitants ou qu’elles comptabilisent déjà plus de 20 % de logements sociaux, pourvu que ces communes en soient d’accord.
La loi Boutin (mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion)
du 19 février 2008 donne au Préfet le droit de préempter dans les communes de plus de 3500 hts ne remplissant les 20 %.
Un article du Code de la Construction et de l’Habitat (L301-3-1) interdit toutefois de construire des logements sociaux dans les communes qui en comptent plus de 35 %.
Louable dans ses finalités, cette loi SRU présente plusieurs limites :
-
Elle n’aborde la question de la mixité sociale qu’au travers du logement social et pas à partir des indicateurs directs de précarité comme les revenus imposables ou le taux de chômage.
-
Elle n’impose rien aux communes de moins 3500 habitants, renforcées dans leur rôle de territoires de prédilection pour l’accueil des ménages qui refusent la mixité sociale.
-
Elle ne tiens pas compte des différences de la demande entre les bassins d’habitat qui justifieraient peut-être plus de 20 % dans certains secteurs et moins dans d’autres.
-
Elle n’impose aucun quota de logements très sociaux, laissant ainsi la possibilité aux communes de faire du logement social sans pauvres.
-
Elle comptabilise le PLS dans les logements sociaux, ce dont profitent certaines communes qui ne feront ni PLUS, encore moins de PLAI.
-
Elle s’attaque aux déséquilibres entre communes mais pas entre quartiers puisqu’elle n’oblige pas à construire 20 % de logements sociaux dans chaque opération immobilière
En dépit des efforts législatifs et réglementaires, le débat sur la finalité et l’intérêt de la diversité sociale n’est pas clos loin de là, ne serait-ce qu’à lire les approches des spécialistes en sciences humaines sur la question.
On constate, au travers des nombreux ouvrages et articles qui traitent de ce sujet, qu’il se dégage deux visions, deux modèles, un modèle « républicain » et un modèle « communautaire ».
-
Le modèle républicain, héritier de la pensée aristotélicienne prône le brassage et l’équilibre comme condition de la fraternité et de la cohésion sociale
Il est au coeur des politiques publiques depuis des décennies :
« C’est dans la fusion de classes que se scellera entre les habitants de la ville une nouvelle fraternité notait une directive du Ministère de l’Equipement datée de 1946 !
Toute concentration spécifique de populations partageant les mêmes caractéristiques est suspecte :
– Elle engendre la stigmatisation
– Elle entérine le droit des riches à s’enfermer dans des enclos réservés
– Elle rompt les solidarités complémentaires de voisinage
Ce modèle peut toutefois se heurter au principe de mixité sociale : cf le maire d’Argenteuil qui s’est vu reprocher de bloquer une attribution à une famille marocaine au nom de la mixité et de l’équiilibre.
-
-
-
Le modèle communautaire, d’inspiration anglo-saxonne, admet la concentration au nom de plusieurs choses :
-
– Elle facilite le travail des intervenants sociaux (l’aide aux mère, l’accompagnement scolaire etc…)
-
– Elle favorise le sentiment d’appartenance au quartier (sans démontrer toutefois que ce sentiment favorise ensuite le sentiment d’appartenance à la ville)
-
– Elle suspecte le modèle républicain de se servir de la diversité pour diluer la pauvreté, mettre les pauvres ou les minorités ethniques à l’écart pour servir l’attractivité territoriale et cacher l’échec d’une politique d’intégration professionnelle
-
– Elle distingue la communauté du ghetto, ce dernier n’étant que la forme subie de la concentration
-
– Elle affirme que la proximité spatiale n’a jamais réduit la distance sociale (voir l’article célèbre de Chamboredon et Lemaire)…elle peut même l’aggraver (problème de la cohabitation liée à la désynchronisation des temporalités urbaines).
« la solitude et la promiscuité sont les deux contraires les plus identiques au monde » écrivait le poète belge Louis Scutenaire
-
– Elle prétend que la concentration n’exclue pas de trouver dans les équipements et les espaces publics des opportunités, si pas de brassage, en tout cas de co-habitation sociale.
-
- Elle se méfie d’une diversité qui, en rapprochant les riches et les pauvres, peut susciter un mimétisme ravageur sur le plan des comportements d’achat
-
– Elle invoque la demande sociale qui, personne ne peut le contester, tourne le dos à la diversité.
-
-
La confrontation de ces deux modèles amène à poser deux questions :
-
-
Comment concilier le devoir de la fraternité sociale avec le droit républicain de choisir son lieu de résidence (cf Argentueil)?
-
Comment la diversité peut-elle être crédible lorsque les pouvoirs publics s’avèrent impuissants à enrayer les regroupements affinitaires des plus aisés ?
Une chose est sûre : la ségrégation ne fait que refléter spatialement et architecturalement le statut socio-professionnel.
-
Au Moyen-âge, le maître et son compagnon vivaient dans la même habitation mais à des étages différents (on parlait de ségrégation verticale)
-
Au XIXe siècle et durant la période industrielle, la ségrégation est devenue horizontale mais restait confinée et circonscrite au quartier.
-
Le classement social s’opérait par la localisation dans le quartier, taille de la parcelle, le mode de regroupement des logements (patron au château ou dans la maison de maître, logements individuels pour les ingénieurs, en recul de la voie, avec une frontalité soignée et une pièce de réception, logements des contremaîtres sous forme de maisons en bandes mais avec détails différents sur les façades, maisons des employés regroupées dans des unités de deux et maisons des ouvriers dans de unités de quatre…).
La juxtaposition des catégories socio-professionnelles dans les cités minières avec leurs maisons dotées d’un jardin sur le devant avait aussi l’avantage de faciliter la surveillance !
Ce qui a changé, c’est la nature de la ségrégation :
Alors qu’autrefois le statut social passait par les signes, il se traduit aujourd’hui par la distance.
On est passé d’une ségrégation associée à une ségrégation dissociée.
L’histoire de la ville (et pour certains de leur vie) est celle de la recherche du marquage social et d’une mise à distance permanente entre les riches et les pauvres, ignorant la fable du porc-épic de Shopenauer qui regrettait que les hommes s’entêtent à s’éloigner alors que quand les porc- épics ont froid, ils se rapprochent mais en se rapprochant, ils se piquent et donc ils s’éloignent à nouveau pour trouver le juste milieu.
Notre premier ministre, s’il ne veut pas lui aussi se piquer avec cette aiguille qu’ont dans le pied tous nos gouvernants depuis un demi-siècle, ferait bien de s’inspirer de la fable.
2015, année lumière ....
Meilleurs Vœux à vous lecteurs, pour l’année 2015 que l’ONU a décrétée comme l’année de la lumière et des technologies liées à la lumière.
2015 sera aussi l’année du centenaire de la naissance de Luc Bérimont, poète qui a passé son enfance en Sambre (le Bérimont est un lieu-dit de la commune de Ferrière-la-Grande) et à qui nous devons cette belle phrase :
« Qu’un langage non souillé, qui est celui de la poésie, continue d’allumer les ombres et les lumières ».
Du 14 mars à fin avril, la commune de Marpent, en écho au Colloque de l’Université d’Angers et des rendez-vous parisiens d’ores et déjà programmés, rendra un hommage au poète et romancier, qui fut aussi producteur et animateur d’émissions consacrées à la fine fleur de la chanson française sur Radio France en organisant une exposition :
« Luc Bérimont, l’ivresse des mots », à la médiathèque L’Oiseau-lyre.