La radicalité au centre des politiques publiques
22 Juin 2017 , Rédigé par Jean-Marie Allain
Prévenir la radicalisation des jeunes tombés dans le chaudron de l‘islamisme radical est devenu un sujet de formation, de colloques et de séminaires.
C’était le sujet d’une conférence très instructive organisée ce jeudi matin au Manège par un gendarme doctorant.
La prévention de la radicalisation vise à couper les jeunes extrémistes musulmans des influences idéologiques de l’islamisme dit « radical ».
D’où, de mon point de vue, l’intérêt de s’interroger sur l’opportunité d’utiliser ce terme, tant il est vrai qu’il ne traduit pas ou traduit mal, selon moi, l’enjeu de ce débat.
Au fil de la présentation, j’en suis venu en effet à me poser la question : Pourquoi cette appellation de lutte contre la « radicalisation » ?
Mon questionnement porta notamment sur le risque de délégitimer toute forme de radicalité à force de dresser les esprits contre toute « pensée radicale » et d’oublier que la radicalité de certains penseurs a pu accoucher de choses remarquables comme la philosophie des Lumières avec révolution française ou l’émergence du protestantisme par exemple, même s’il est vrai que ces choses remarquables sont nées au prix de combats sanglants et d’abominables terreurs et qu’elles nous interpellent encore aujourd’hui sur le lien entre pensée radicale et terreur.
En d’autres termes, peut-il y avoir des pensées radicales qui n’accouchent pas de la terreur ?
Une pensée radicale peut se définir comme une pensée radicalement différente de la pensée dominante.
Et, à ce titre, de nombreux penseurs ont gagné leur notoriété par une rupture « radicale » sur le plan des hypothèses ou de leur méthode de travail.
Razmig Keucheyan, Maître de conférences / Université de Paris-Sorbonne (Paris IV) dans la revue du MAUSS consacre un article éclairant sur ce sujet et explique notamment que la pensée radicale de Walter Benjamin a consisté à comprendre le réel à partir de ses manifestations extrêmes.
Et formuler une pensée radicale, outre que cela peut produire de l’innovation, n’implique pas forcément que l’auteur soit un dangereux subversif. Lévi-Strauss, en inventant le structuralisme, a radicalement changé la façon de comprendre les sociétés sans être un dangereux révolutionnaire.
Même chose pour Jacques Lacan et Roland Barthes dont les doctrines peuvent à certains égards être considérées comme radicales sans que ces philosophes fussent pour autant des ennemis de la république.
C’est pourquoi on peut définir la pensée radicale comme une pensée en rupture de la conception dominante et parfois certes exclusive dans la mesure où, puisqu’elle remonte à la source, au fond des choses, à l’absolu,« à la racine », elle peut se révéler totalisante et ne tolérant pas d’exception (les années 70 ont ainsi été marquées par les querelles très profondes entre les structuralistes et les marxistes, deux philosophies totalisantes.. alors que sur le fond, elles peuvent être parfaitement complémentaires).
Par contre, la pensée radicale, lorsqu’elle se transforme en idéologie, devient cette fois une menace.
Toutes les idéologies radicales sans exception ont accouché si pas toujours de la terreur, en tout cas de l’absolutisme : le christianisme a eu son inquisition, le protestantisme est né avec la brutalité luthérienne, le marxisme n’a jamais su éviter les goulags.
Et si l’histoire nous enseigne qu’une pensée radicale, peut se révéler cognitive, c’est-à-dire fondatrice de nouveaux savoirs, de nouvelles connaissances, de nouvelles pratiques, il n’en demeure pas moins qu’elle pose problème dès lors qu’elle se mute en idéologie, en pensée instrumentalisée, dogmatique pour s’installer dans le réel et manipuler les consciences.
Les femmes musulmanes ont parfaitement le droit de porter chez elles le niquab , signe de l’islamisme radical, mais doivent l’enlever dans les lieux publics, même si l’on peut regretter que cela soit rarement le cas.
La radicalité vestimentaire, par le séparatisme identitaire qu’elle revendique (leit-motiv du salafisme), fait le jeu et donc accompagne la propagande djihadiste.
Notre démocratie ne doit donc pas s’abstraire de veiller à ce que le droit de penser librement et d’organiser sa vie chez soi comme on le veut, ne se traduise par des comportements qui contreviennent à la loi.
En ce sens, la notion d’islam radical pour désigner le fanatisme musulman pêche par euphémisme et fait planer sur la notion de « radicalité » un regard accusateur, pas toujours justifié.
Le degré de terreur du fanatisme islamique en fait un nazisme des temps modernes et comme il a fallu forger un terme pour désigner le « nazisme » d’Hitler (le mot « nazisme » est la traduction française de l'allemand Nazismus, qui est une abréviation de l'expression allemande « Nationalsozialismus » ), il serait opportun de dépasser le terme soporifique et ambivalent de « radicalisation » pour désigner une bonne fois pour toutes ce dont il s’agit : le djihadisme, ce terme exprimant bien le sens de « fanatisme violent » et présentant par ailleurs l’avantage de ne pas englober les musulmans respectueux des lois républicaines.
Ce djihadisme est un baril de poudre alimenté par les mèches enflammées du multiculturalisme envers lequel certaines personnalités politiques ont trop longtemps cultivé la complaisance.
Eteindre une mèche (la radicalité vestimentaire par exemple) ne suffira pas à éviter l’explosion. Il faut éteindre simultanément toutes les mèches (verbale, mentale, comportementale) et par tous les moyens (éducatif, social, culturel, pénal, militaire) pour éradiquer les germes de ce djihadisme haineux.
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