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Le blog de Jean-Marie Allain

Taxe routière : les leçons de 1789

3 Novembre 2013 , Rédigé par Jean-Marie Allain Publié dans #TRANSPORTS

Avant la révolution, les routes et chemins étaient entretenus par les paysans au titre de la corvée et au prétexte qu’ils en étaient les premiers utilisateurs.
Pourtant, les paysans constatent que les routes servent autant à transporter les épices coloniales consommées par les nobles et à décorer l’entrée des villes habitées par les bourgeois.

Vivant cette situation comme une injustice, on comprend mieux le sens de la réclamation déposée par les marpentois dans les Cahiers de doléances déposés à la prévôté de Maubeuge en mars 1789.

Ils demandent l’établissement de barrières le long des chemins à l’effet de constater les frais de chaussée par tous les rouliers pour remplacer les corvées à l’instar de ce qui se pratique sur les terres de l’Empire d’Autriche.

Il s’agit en fait de s’affranchir de la corvée en créant des barrières de péage pour financer les travaux d’entretien comme cela se pratique effectivement dans l’Empire d’Autriche et en Angleterre.

Curieusement, ce sont les «  bonnets rouges » de l’époque qui demandent la taxe !

La demande n’est pas spécifique à Marpent si j’en crois un article extrêmement rigoureux du professeur Jean-Marcel GOGER, paru dans la revue Domitia (N°3) en décembre 2002 (Presses Universitaires de Perpignan) et intitulé : Une ambition révolutionnaire : rendre la route accessible aux ruraux / EQUIPEMENT ROUTIER ET QUERELLE DU LUXE EN FRANCE, 1776/1815.

En novembre 1792, le diplomate Pierre de Naillac adresse à Monsieur Jean-Marie Roland, ministre de l’intérieur  une lettre dans laquelle il rappelle qu’il proposait (à l’époque de la Constituante) qu’à l’exemple de l’Angleterre, de la Hollande, des États autrichiens, de la Bavière et des États vénitiens, on établit des barrières sur les grandes routes, à des distances convenues, où il serait fixé un péage proportionné au nombre de chevaux attelés à toute espèce de voiture.

En janvier 1793, Monsieur Roland déclare à la Convention que « par un abus de l’autorité despotique de l’Ancien Régime, la confection, l’entretien et les réparations des grands chemins ont été longtemps à la charge de la partie la moins fortunée des habitants de la France. On a vu dans ces temps […] les routes arrosées de la sueur des malheureux cultivateurs […], tandis que les riches […] pour qui elles étaient dégradées par les charges énormes que leur luxe et leurs besoins faisaient transporter, trouvaient dans les privilèges […] le moyen de se mettre à l’abri des taxes auxquelles tous auraient dû concourir […] du moment que la corvée fut abolie.

Je propose […] d’établir sur les grandes routes des barrières où il sera perçu un droit sur le poids des voitures […]. Le projet que je […] propose atteindra les gens riches, aisés, et épargnera ceux dont les facultés sont bornées. Il aura l’avantage de donner un produit qui sera à raison de la fortune des consommateurs ».

Poussé à la démission le 22 janvier 1793, en raison de ses convictions libérales et ses idées proches  d’Adam Smith, Roland n’a pas le temps de faire dresser les barrières sur les routes.

Pourtant, son système péager est remis à l’ordre du jour par le thermidorien Bonguyot, au printemps de 1795. En avril 1796, après quelques hésitations, le directeur Letourneur réinscrit le projet dans le débat parlementaire.

Les partisans de la taxe péagère insistent tous sur sa modicité.

Finalement adoptée par les représentants de la Nation en décembre 1797, la taxe d’entretien des routes est instaurée par le ministre de l’Intérieur François de Neufchâteau au cours de l’été 1798.

 Le nouveau financement doit profiter essentiellement aux grandes routes. Toutefois, en cas de succès, les députés n’excluent pas d’étendre la nouvelle méthode aux liaisons locales.

Malheureusement, tout en souffrant d’une forte impopularité, la taxation des usagers ne rapporte jamais plus de 16, 5 millions, c’est pourquoi elle est abolie en septembre 1806.

Un impôt sur le sel pourvoit désormais aux grands axes stratégiques, tandis que la loi du 16 septembre 1807 renvoie aux collectivités territoriales la charge des autres routes, à proportion de leur riveraineté.

En septembre 1832, les ingénieurs Lamé, Clapeyron, Stéphane et Eugène Flachat justifient ce retour en arrière, qui clôt définitivement l’ère des interrogations révolutionnaires. Pour eux, les péages sont inadaptés aux dispersions de la France intérieure : Autrement dit, la dispersion des foyers économiques, dans une France vaste et irrégulièrement urbanisée, ne permet pas d’acclimater tels quels les préceptes des États maritimes.

 

Un raisonnement que partageront sans nul doute encore aujourd’hui les bonnets rouges bretons.

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