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Le blog de Jean-Marie Allain

Philippe LAMOUR, un landrecien hors du commun

3 Mars 2010 , Rédigé par Jean-Marie Allain Publié dans #Histoire locale

Rares hélas sont les sambriens qui ont entendu parler de Philippe LAMOUR, un grand bonhomme de chez nous, à l’itinéraire particulièrement intéressant et dont plusieurs établissements scolaires portent le nom dans le sud de la France.

 

Philippe LAMOUR est né à Landrecies où il passe son enfance avant de recevoir une formation chez les religieux en Belgique.

Après la première guerre mondiale, sa famille s’installe à Paris où il mène des études de droit.

Etudiant brillant, il est inscrit au barreau à vingt ans et s’occupe des dossiers de dommages de guerre où, déjà, il se fait remarquer pour la qualité de sa plume.

 

Le pouvoir aux producteurs !

 

Le jeune étudiant en droit écrit dans de nombreuses revues, de toute tendance, et s’engage en 1926 dans le Réseau de Georges Valois, mouvement à la fois nationaliste et socialiste qui dénonce l’incapacité des dirigeants et réclame le pouvoir pour ceux qui travaillent.

 

Concilier jacobinisme et girondisme

 
Philippe LAMOUR va révéler ses talents d’orateur et d’organisateur au sein de cette organisation dont il dirige le secteur Ile de France et qui, même si elle disparaît dès 1928, va marquer durablement ses conceptions en matière d’aménagement du territoire.

Philippe LAMOUR rêve d’un Etat fort (Proudhon se retourne dans sa tombe !) dont le pouvoir serait confié à ceux qui produisent comme il s’en explique dans son ouvrage « la République des producteurs ».

Méfiant à l’égard des partis politiques (comme je le comprends), refusant l’affrontement stérile droite/gauche (tiens, un précurseur !), il s’affiche antiparlementaire et décentralisateur (Proudhon est apaisé !) tout en gardant une grande confiance dans l’Etat dont il croit en la capacité, grâce à l’aménagement du territoire, à impulser des dynamiques de développement.

 

On dirait aujourd’hui qu’il n’était pas pour «  plus d’Etat » mais pour « mieux d’Etat ».

 

Mélange subtil de jacobinisme (par sa foi au pouvoir central) et de girondisme (par son souci de la décentralisation), Philippe LAMOUR prône un devoir d’intervention financière de l’Etat dans l’aménagement mais également un droit des acteurs territoriaux à concevoir et à mettre en œuvre des projets.

 

L’éloge du progrès et de la modernité planifiée

 

Fort de cette conception interventionniste de l’Etat, Lamour considère la société allemande comme un modèle, en particulier pour la politique des autoroutes.

Ce qui n’en fait pas pour autant, on le verra, un ennemi des écolos, encore moins un sympathisant du nazisme.

D’ailleurs, il participe à la traduction de « Mein Kampf » dans le but d’informer les français sur la menace que constitue le nazisme.

 

Devenu avocat, il fonde en 1931 la revue « Plans », revue financée par l’épouse de l’architecte Walter et qui prône la modernité et, pour y parvenir, la planification.

La revue traite de nombreux sujets et peut se targuer de prestigieuses signatures comme celle de Le Corbusier.

Philippe Lamour épouse Ginette, la fille des Walter.

 

Un agriculteur productiviste qui a « les tripes à gauche »

 

En dépit se son engagement aux côtés de Georges Valois et de sa considération moqueuse pour la résistance, Philippe Lamour garde « les tripes à gauche ».

Socialiste partisan d’une économie de marché, il est candidat malheureux de la coalition du Front Populaire aux élections de 1936 à Sens (Yonne) et dénonce la responsabilité du régime de Vichy.

Après la guerre, il décide de se retirer dans le Massif Central pour devenir agriculteur.

Conformément à ses idées, il s’intéresse à la modernisation de la production, ce qui l’amènera à s’engager dans le syndicalisme agricole où il deviendra le responsable national de la Confédération Générale Agricole, ancêtre de la FNSEA, et apôtre du productivisme agricole et de la mécanisation.

Son ascension fulgurante reste un mystère pour les historiens dont certains n’excluent pas un rôle dans la franc-maçonnerie.

Il rencontre même le Général de Gaulle pour le convaincre de produire du blé en masse… mais sans succès.

Sa piètre estime de Pétain, proche voisin, l’incite à quitter le massif Central pour le Gard où il va cultiver le blé, la vigne et pratiquer l’élevage.

Il sera le premier agriculteur du département à bénéficier d’un tracteur dans le cadre du Plan Marchall.

Il participe à la riziculture en Camargue où, là encore, il devient Président… du syndicat des riziculteurs.

 

L’aménageur du Languedoc

 

Dès 1946, il rencontre Jean Monet avec qui il travaille à l’élaboration du premier Plan d’aménagement du Languedoc.

C’est à cette période qu’il découvre aux Etats-Unis l’aménagement de la vallée de la Tennessee qui révèle qu’une politique publique de l’eau fluviale peut permettre à une région de se développer.

Ce voyage le conforte dans sa philosophie planificatrice et, devenu conseiller du Préfet de Nîmes (décidément, il sait se placer ce Lamour !), s’en inspire pour concevoir le grand rêve des romains de captation de l’eau du Rhône pour irriguer et électrifier le Languedoc et, secondairement, développer un tourisme sur le littoral.

Pierre Mendes-France, Président du Conseil, signe le décret le jour de sa démission, sur le capot de sa voiture !

Devenu Président de la Compagnie du Bas-Rhône Languedoc (dont le siège est un immeuble de 20 étages, encore un signe de modernité !), Philippe Lamour se lance dans son projet dont il admettra plus tard qu’il n’était pas un modèle du genre (ouf !).

Les agriculteurs locaux boudent le projet et se méfient de l’eau qui reste chère et dont ils ne veulent pas se retrouver tributaires.

Les rapatriés d’Algérie et les investisseurs touristiques saisissent l’opportunité.
Les premiers pour développer le maraîchage et l’arboriculture, les seconds pour créer les stations balnéaires de la Grande Motte et du Cap d’Adge.

Jusque-là, notre aménageur n’a rien de très sympathique.
On pourrait même dire, qu’enivré par ses rêves d’aménageur technocratique, il endosse la responsabilité du bétonnage d’une partie du littoral français.

Heureusement, Philippe Lamour va évoluer et la dernière partie de sa vie est sans conteste celle qui fait émerger de la sympathie.

 

Lamour de la nature : La révolution de la qualité

 

Le succès mitigé de l’aventure languedocienne l’amène reconsidérer ses schémas de pensée au profit d’un environnement conçu non plus au service du rendement mais au service de l’homme.
Le champion du productivisme va ainsi engager un autre combat, celui de la qualité, par exemple en créant l’appellation «  vin délimité de qualité supérieure » (VDQS… vous comprendrez pourquoi je ne peux oublier Philippe Lamour), intermédiaire entre le vin ordinaire et l’appellation contrôlée AOC.

Puis, il lance le premier li’dée de baliser les sentiers de Grande Randonnée.
C’est encore lui qui est à l’origine des Parcs Naturels Régionaux.

C’est lui encore qui invente le concept de « station-village de montage », en réaction contre les stations intégrées comme les Arcs ou Tignes, où l’on fait la queue comme dans les supermarchés et aux mains de quelques requins de la promotion immobilière.

 

La création de la DATAR

 

Philippe Lamour accède aux plus hautes fonctions lorsqu’il est nommé Président du Conseil Supérieur de la Construction, organisme créé par Pierre Sudreau.
Au travers de ce poste, il met en œuvre le Plan d’Aménagement du Territoire de 1962 et participe en 1963 à la création de la Délégation à l’Aménagement du Territoire et à l’Action Régionale (DATAR) – devenu depuis la DIACT, compétitivité des territoires, libéralisme oblige) – où il restera jusqu’en 1974.

 

 

Elu maire de Ceillac, il consacre la fin de sa vie à la défense du remembrement et sera Président (eh oui, un accroc du pouvoir !) de l’Association Nationale de l’Aménagement Foncier Agricole et Rural.

Auteur de nombreux ouvrages, esprit inclassable (comme je les aime) non-conformiste (c’est son côté sympa) et d’apparente contradiction (c’est cela aussi le non dogmatisme), Philippe Lamour a raconté sa vie dans son livre « le cadran solaire », récompensé par le Prix des Maisons de la Presse.

 

Considéré comme le père de l’aménagement du territoire en France, il décède en 1992.

 

Un landrecien dont la vallée sambrienne a peut-être oublié le nom mais dont l’existence mérite qu’il soit davantage connu localement.

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