Nature au service de l'homme.... et vice versa ?
Intervention dans le cadre du débat sur la transition énergétique et la préparation du Schéma Régional de Développment Durable du Territoire (SRADDT), organisée par le Conseil Régional (Valenciennes/ Les Tertiales).
En quoi l’enjeu de la biodiversité tel qu’il est formulé dans le SRADT, c’est-à-dire le renforcement des continuités écologiques (enjeu commun avec le SRCE) et le renforcement des services fournis par les éco-systèmes (enjeu spécifique du SRADT), nous paraît-il essentiel ?
Retour sur schéma régional TVB :
Axe majeur : Espaces de biodiversité remarquable (« cœurs de nature »), en lien avec les corridors écologiques
Le recul que possède la Région NPDC, de fait de son antériorité dans l’engagement de la TVB, lui permet de constater que valoriser quelques espaces de biodiversité remarquable, même en lien avec les corridors biologiques, ne suffit pas à enrayer l’érosion de la bio-diversité.
La démarche SRADT estime en conséquence qu’il importe d’intervenir à la fois de manière plus globale (prise en compte, au-delà des cœurs de nature et des corridor, de l’ensemble des milieux naturels (mares, forêts, prairies bocagères, zones humides) et de manière plus précise (en cernant les services rendus à l’homme par ces milieux naturels).
Pour le premier aspect, Il est difficile par exemple de penser que l’on a rempli l’objectif si la protection valorisation, d’un coeur de nature n’intègre pas, en amont et de manière plus systémique, la question de la qualité de l’eau ou encore des technique de gestion de cet espace.
Pour le second aspect, le débat renvoie à deux conceptions de la nature avec d’un côté :
- Une conception utilitariste (Rapport de Bernard Chevassus-au-Louis, commandé au Centre d'analyse stratégique, organisme rattaché au Premier ministre, suite au Grenelle de l'environnement) qui tente d’évaluer les services rendus, notamment en approvisionnement en eau, en matière de santé ou encore en matière culturelle. Il s’agit donc d’une évaluation économique non marchande mais néanmoins capable d’apprécier le prix de la perte de biodiversité : j’artificialise 1 hectare de forêt et je fais un chèque de 970 € à la collectivité.
- et d’un autre côté une conception éthique qui craint une marchandisation de la nature et considère que, même si la nature ne rendait aucun service à l’homme, cela ne donne pas le droit à ce dernier de la détruire.
Même si l’abeille ne permettait pas faisait pas économiser 150 milliards d’euros par an, cela justifierait-il pour autant le recours aux pesticides ?
Nous n’allons pas ici ouvrir ce débat mais retenons qu’il existe et que le premier à l’avoir posé, c’est Alexandre Dumas qui, en constatant que les arbres du parc du château de Villers - Cotteret plantés par François 1er ont été abattus et vendus pour 100 000 écus par Louis Philippe alors qu’ils avaient une valeur « inestimable »met pour la première fois en balance la valeur commerciale d’un arbre et sa valeur esthétique, sentimentale ou historique.
En quoi la démarche locale TVB de l’agglomération sambrienne tente t-elle de répondre à cette problématique du SRADT ?
Notre Plan Paysage Trame Verte et Bleue se décompose en 35 actions
Certaines relèvent de Mesures de type « cœur de nature » :
90 ha de zone humides et d’intérêt communautaire en bordure du corridor Sambre (Marpiniaux et Pantegnies) et 6 ha en bord de la Solre, affluent de la Sambre, l’ensemble concentrant un nombre impressionnant d’espèces.
Cette politique permet à ces espaces fragiles de remplir plusieurs services :
- Service d’approvisionnement en eau en jouant un rôle d’éponge filtrante et alimentant la nappe phréatique
Service hydraulique en permettant, en cas de crues, de retenir les eaux et de limiter les risques d’inondation
Service pour les pêcheurs en favorisant, grâce à la régulation maîtrisée du niveau d’eau, la reproduction du brochet
Service écologique bien entendu, en offrant à certaines espèces animales et végétales, des conditions optimales de reproduction et de développement.
Service pédagogique, en offrant aux activités scolaires et péri-scolaires un cadre idéal pour la découverte de la nature et des zones humides
Service sportif, grâce à la fois aux parcours santé, à la présence de la voie verte et aux chemins d’initiation à la marche nordique
Service de loisirs enfin, en permettant aux familles de se promener dans un cadre champêtre
Pour autant, le PPTVB ne se limite pas à protéger et à valoriser ces cœurs de nature.
Il intègre aussi, sur ces sites, la mise en oeuvre de la gestion différenciée, intégrant des chantiers nature avec des groupes de bénévoles ou le centre d’aide par le travail.
Cette gestion douce, déborde par ailleurs aujourd’hui le seul périmètre de ces sites puisque l’agglomération a engagé une action de Formation des agents communaux aux techniques de gestion différenciée des espaces publics couvrant une centaine d’hectares.
Là encore, et grâce à cette gestion alternative, ces espaces publics redeviennent des espaces de verdure propices à la bio- diversité mais en même temps générateurs d’économies pour la collectivité par le moindre temps passé à la tonte, l’absence d’arrosage et le non recours aux produits phytosanitaires.
D’autres actions sur des milieux naturels spécifiques, moins visibles sur la plan spatial et aménagement, permettent d’inscrire ces politiques « cœur de nature » dans une démarche éco-systémique :
- Action de Protection du maillage bocager dans le cadre d’une convention d’entretien de 80 km de haies avec une quinzaine d’agriculteurs, C’est infime au regard des 1000 kilomètres de haies agricoles sur le territoire de l’agglomération mais c’est un premier pas.
L’entretien des haies représente pour beaucoup d’agriculteurs une contrainte de temps, une contrainte financière (entre 0,15 et 0,20 € du mètre linéaire) et une contrainte parfois en termes d’exploitation.
Pourtant, les services rendus par la haie sont multiples :
La haie retient les terres et limite donc l’érosion des sols
La haie favorise la protection et la qualité de l’eau souterraine
La haie représente un abri et un lieu de vie pour la faune et la flore (la haie corridor biologique)
La haie retient l’eau et protège donc contre les inondations
La haie est un écran protecteur contre le vent, les coulées de boue et les congères
La haie amène de l’ombre pour le bétail
La haie est devenue une donnée essentielle du paysage sambre-avesnois, et donc une partie de son patrimoine paysager, de son image et de son identité.
La haie capte les gaz à effet de serre (c’est un puits de carbone) et participe à la lutte contre le réchauffement climatique
La haie donne du bois de chauffage
La haie est aussi un but de loisirs, appréciée des promeneurs pour la cueillette mais aussi des chasseurs parce qu’elle favorise la reproduction du gibier
Septembre 2011, le programme d’entretien de haies est déclaré d’intérêt communautaire et s’inscrit dans le Plan Paysage Trame Verte.
Partenaires :
Le Conseil Général qui finance à 80 % (l’agglomération prenant à sa charge les 20 % restant)
Le PNR qui amène son expertise technique
L’Association de développement Agricole et rural de la Thiérache Hainaut (ADARTH) qui sensibilise les agriculteurs à ce programme
L’Agence d’urbanisme pour la cartographie
- Action de Protection des lieux d’hibernation et de reproduction de la chauve souris, dont on sait les services qu’elle rend en consommant chaque jour des milliers de moustiques que les habitants n’auront pas à exterminer avec de coûteuses et dangereuses bombes de pesticides.
- Opération de création ou d’aménagement de 22 mares sur des terrains publics, dans le cadre d’un appel à projet auprès des communes intitulée « 22, v’là les mares », en partenariat avec le PNR et partant du constat que les mares subissent des dégradations organiques (lorsqu’il y a empoissement) mais surtout des dégradations physiques avec leur comblement qui peut être naturel : (eutrophisation par manque d’entretien, atterrissement par piétinement du bétail, par affaissement des berges suite aux rats musqués ou lors de routes à proximité, chutes de feuilles avec la proximité d’arbres) ou volontaire (décharges, remblayées suite au passage de l’élevage à la culture, perte d’usage par crainte sanitaire de l’agriculteur).
Et pourtant, une mare qui n’a plus d’USAGE rend encore de nombreux services : c’est un milieu vivant, riche en bio-diversité qui sert de refuge ou de lieu de vie à une flore et une faune diversifiée (amphibiens notamment), c’est un lieu de stockage des eaux de ruissellement, sans oublier son rôle paysager.
Opération Plantons le décor, qui permet aux particuliers d’acheter pour un prix modeste des espèces locales, service indirectement rendu aux apiculteurs, à l’agriculture et aux propriétaires d’arbres fuitiers.
Conclusion :
Les milieux naturels peuvent ne pas ou ne plus avoir d’usages, ils n’en rendent pas moins de précieux services.
Or, apprécier le service d’un milieu naturel ou d’une espèce, c’est donner d’une certaine manière une valeur économique, donc monétaire à la biodiversité.
Cela permet de pouvoir comparer. Et le calcul économique public permet d'aider les décideurs à le faire.
D’ailleurs, on utilise déjà des prix pour la nature, dans les procès en particulier, afin de calculer une indemnisation versée en réparation de dommages écologiques, comme après une marée noire ou le rejet de produits toxiques.
Dans une opération d’aménagement qui artificialise les sols, il devient impératif d’ajouter, au coût des infrastructures, celui de la perte de bio-diversité.
Mais cela ne doit pas pour autant conduire à tout marchandiser.
Quelle valeur économique attribuer à la "biodiversité remarquable" (parcs naturels nationaux, espèces menacées…), afin d'éviter qu’une capacité à payer puisse engendrer l'instauration d'un droit de détruire ?
C’est parce que la nature rend d’immenses services à l’homme que l’homme se doit d’être au service de la nature.