Mariage pour tous, changement de société ?
Mon opposition se fonde sur trois raisons : anthropologique, éthique et écologique
La raison anthropologique
Si la famille est une institution, le mariage conjugal est un rite d’union entre des personnes pour fixer de manière solennelle les règles de fonctionnement du foyer (droits et devoirs des mariés rappelés dans les articles 212 à 215 et 220 du Code civil), la mise en œuvre de l’autorité parentale (article 371 du même Code) et indirectement les modalités de filiation (principe de présomption de paternité).
Famille et mariage sont donc des formes culturelles, des superstructures comme disent les marxistes, susceptibles, il est vrai, d’évoluer dans le temps.
Car non seulement la famille monogame a évolué (le modèle dominant fut successivement celui de la famille élargie, puis nucléaire, puis recomposée…), pour tendre aujourd’hui vers une typologie plus équilibrée (cellule nucléaire classique, famille recomposée, célibat….), il faut rappeler que d’autres modèles que celui de la famille monogame existent ou ont existé dans le monde comme l’a montré l’ethnologie.
Le célèbre ouvrage du meilleur ami de Karl Marx, Friedrich Engels, « les origine de la famille, de la propriété privée et de l’Etat », récapitule d’ailleurs brillamment ces différentes formes de conjugalité : la polygamie (1 homme et plusieurs femmes), la polyandrie dans certaines tribus indo-tibétaines (une femme et plusieurs hommes), le mariage apparié , puis par groupe dans certaines tribus d’Australie et de Sibérie (plusieurs hommes et plusieurs femmes) supplanté ensuite par le mariage apparié (un homme principal parmi d’autres et inversement).
Evans Pritchard avait même analysé chez les Nuer du Soudan une forme très particulière de mariage, « le mariage avec les morts », rituel consistant à marier le frère d’un défunt avec une femme dont la progéniture était censée être celle du défunt.
Personne ne peut donc contester cette diversité des formes de conjugalité.
Mais personne ne peut davantage contester qu’elles aient un point commun : il s’agit toujours, quelle que soit l’époque et quel que soit le lieu, d’un mariage fondé sur le sexe.
C’est la thèse de Sylviane Agacinski : c’est le sexe qui a toujours fondé le mariage, basé sur l’union de personnes distinctes et complémentaires d’un point de vue anthropologique et non l’orientation sexuelle.
La raison éthique
La forme du mariage détermine le type de filiation.
Ainsi, avec la polyandrie (1 femme pour plusieurs hommes), on ignore qui est le père mais l’enfant se définit par sa mère.
Avec la monogamie, notre société a instauré la double filiation sexuée pour la descendance (un père et une mère), un couple stérile ayant la possibilité de recourir, sous certaines conditions, à la procréation médicale assistée (PMA), soit sous forme d’insémination artificielle, soit par fécondation in vitro (bébé « éprouvette »).
L’accès pour les homosexuels au mariage donnerait donc droit, en toute logique, à la revendication de cette PMA par les couples de femmes.
Europe Ecologie les Verts affiche, de ce point de vue, plus de cohérence que le PS même si je ne partage pas leur position.
Mais si l’on considère que la filiation doit rester double et sexuée, on ne peut être que contre la PMA pour les couples homosexuels (j’ai cru comprendre que Jacques Testart, un des pères du bébé éprouvette qui avait été le premier à soulever les problèmes d’éthique, était contre la PMA en pareil cas), et en toute logique contre le mariage pour tous qui lui donne une légitimité.
Certes, peuvent dire les défenseurs du mariage pour tous mais cela revient à fermer les yeux sur les « bébés Thalys », enfantés par des femmes homosexuelles (je préfère ce terme à « lesbienne », de connotation péjorative à mon sens) qui partent sur la Belgique ou la Grande Bretagne.
Oui, mais ces enfants nés d’un père inconnu, restent des enfants qui ont une mère et pas deux comme l’induirait la légalisation de la PMA, ce qui serait une remise en cause du principe de la double filiation sexuée.
Et ce n’est parce que le pastis est moins cher (ou les impôts moins élevés) chez nos amis belges que nous devons nous aligner sur nos voisins !
Sans oublier que, au nom de l’égalité, les couples d’hommes revendiqueraient légitimement le droit d’avoir des enfants et pourraient monnayer l’utérus de quelque mère porteuse…et rapporteuse (ce que l’on nomme la Gestation Pour Autrui) remettant là encore en question le principe de la double filiation sexuée.
Cette GPA est actuellement interdite en France mais tolérée en Belgique, aux Pays –Bas, et légale et également monnayée en Grèce, en Israël, aux Etats-Unis, pour ne pas parler de l’Inde où cette odieuse marchandisation touche les femmes les plus pauvres et tant qu’à faire les plus belles des pauvres… au risque de nous ramener les relents de l’eugénisme.
La raison écologique
Dans la grande tradition des penseurs de l’écologie comme Hans Jonas, Jacques Ellul ou Ivan Illich, j’affiche toujours une méfiance sur la notion de progrès technologique, l’être humain pouvant s’épanouir par la technique mais aussi en être esclave.
On trouve encore heureusement chez Europe Ecologie les Verts quelques puristes comme Michel Sourouille (ex PS) qui se réclament de cette philosophie de l’écologie profonde (celle qui n’est pas encore tombée dans le marigot politicien).
Ces puristes dénoncent la fuite en avant technologique sur les manipulations du vivant, qu’il s’agisse du vivant végétal (OGM) ou du vivant humain (PMA, GPA et peut-être demain utérus artificiel).
Bien entendu, si je conçois que l’on puisse avoir recours de manière exceptionnelle à ces prouesses technologiques, je combats la banalisation des plantes génétiquement modifiées comme je combats la banalisation des humains artificiellement créés.
Pour conclure, je dirais quelques mots sur l’ argument majeur en faveur du mariage pour tous , l’égalité des droits.
Comme le souligne Sylviane Agacinski, dans une démocratie, tous les droits ne pas égaux pour tous (ou alors qu’on nous donne tout suite la retraite à 50 ans !)
Elle cite justement l’exemple des droits liés à l’âge : le droit à l’éducation est réservé à l’enfant, le droit de vote octroyé aux individus majeurs, le droit à la retraite obtenu à partir d’un certain âge.
Pour elle, le mariage relève de ce type de droit, un droit qui a toujours été lié au sexe et non à l’orientation sexuelle.
Le droit à l’enfant des couples homosexuels relève également du principe de l’égalité mais ignore que l’enfant a aussi des droits, celui d’avoir été conçu par un père et une mère.
Finalement, que de chemin parcouru depuis mai 68, quand les gauchistes voulaient en découdre avec notre forme de mariage monogame.
Paradoxalement, le mariage homo, qui serait plutôt d’inspiration libertaire, revendique ce qu’ Engels nommait ce « patriarcat bourgeois » !