Eau : responsabiliser les consommateurs sans déresponsabiliser les élus
Le Collectif du refus de la Misère de Sambre-Avesnois organisait ce vendredi un débat sur la gestion de l’eau avec l’objectif affiché que soit débattue par les élus et les personnes présentes la question du choix du mode de gestion au terme du contrat d’affermage.
Il faut dire que le débat était déjà, si pas engagé, du moins évoqué depuis plusieurs mois.
Cela dit, il n'y a pas le feu.
Le SMVS a en effet délégué la gestion de l’eau à la société Eau et Force (groupe La Lyonnaise) mais le contrat ne se termine qu’en 2017.
La position du Collectif, introduite par un film très partisan mais bien fait, part du postulat selon lequel le prix est trop cher pour les pauvres et qu’une gestion directement publique sous forme de régie serait plus appropriée.
Ce postulat s’appuie sur le constat que la gestion de l’eau déléguée au privé coûte généralement plus cher que lorsqu’elle est publique.
Rappelons qu’il existe en effet plusieurs modes de gestion possibles de l’eau.
1) La régie : c’est la collectivité qui gère en direct
2) La Gestion déléguée : (80 % des volumes d’eau consommés sont gérés de cette manière par les deux grands groupes que sont d’un côté La Lyonnaise (groupe Suez) et auquel appartient Eau et Force et de l’autre Veolia (ex Vivendi Generale des eaux)
° soit en Concession : le concessionnaire (Eau et Force) finance les installations et se rémunère sur l’exploitation.
° soit en Affermage (souvent 10 à 12 ans) : la collectivité investit, l’exploitant reverse une partie de ses recettes.
3) Le Marché de prestation de service : le titulaire gère les installations mais c’est la collectivité qui réceptionne les appels des usagers et notifie les interventions au titulaire.
Les critiques qui sont généralement faites à la gestion déléguée concernent :
- les situations oligopolistiques (moins il y a de prestataires, plus c’est facile de s’entendre… même si cela n’est pas légal),
- le manque de transparence financière
(des provisions pour renouvellement ou entretien non utilisées ne sont pas toujours reversées aux intercommunalités qui, à vrai dire, sont censées prendre le temps de contrôler leur délégataire)
- le prix généralement plus élevé de l’eau
Qu’ en est-il chez nous ?
Sur l'agglo (périmètre d'Eau et Force), on est à 4,40 € TTC dont , 74 € pour la distribution d'eau potable, 1, 89 € pour l'assainissement et 0,77 € pour les taxes diverses.
Pour comparer, nous avons les chiffres 20009.
D'après les données de l'agence de l'eau Artois-Picardie, pour une consommation moyenne annuelle de 120m3, référence INSEE et agences de l'eau)
Délégation Suez Eau et Force:
Maubeuge: 4,49€ dont 1,82 € pour l'EP, Hautmont : 4,45 dont 1,82 pour l'EP
Fourmies: 4,07€ dont 1,48 pour l'EP, Valenciennes: 4,78 dont 1,68 pour l'EP
Noreade: 4,26€ dont 1,42 pour l'EP ; cambrai: ep 1,26€ ; se 3,44€ dont 1,26 pour l'EP;Lille :3,46 dont 1,39€ pour l'EP; Arras: 3,84€ dont 1,52 pour l'EP; Dunkerque: 3,96€ dont 1,11 pour l'EP, Boulogne: 4,87€ dont 1,34 pour l'EP.
Le prix est-il trop élevé localement ?
Toute comparaison de prix exige une analyse fine de la formation des coûts, comme l’a bien rappelé M.Bertrand Hartmann, directeur de l’Agence Locale d’Eau et Force, invité pour la circonstance.
Le prix de l’eau dépend notamment :
- du coût d’accès à la ressource (nappe de surface, nappe profonde, traitement des nitrates, traitement de l’eau des fleuves, protection ou non des captages…) , des taxes et de l’amortissement des investissements.
(on peut même baisser le prix de l’eau si on ne fait aucun investissement !)
- du rapport entre le coût de l’infrastructure inhérent à la géographie et le nombre de personnes desservies (si je tire 100 kms de tuyaux pour desservir 20 personnes, l’eau coûtera plus chère que si on dessert 1000 personnes).
Dans la Sambre, les habitants consomment moins d’eau qu’ailleurs .De ce fait, les frais fixes sont répercutés au prorata du volume consommé… qui devient donc plus cher !
Dans une agglomération qui perd de la population, cela signifie aussi que le prix de l’eau ne peut qu’augmenter… sauf à encourager les populations à en consommer davantage, ce qui serait contraire au souci de la préservation de la ressource.
Le représentant d’ATTAC a, sur cette base, plaidé pour une péréquation du prix de l’eau sur le plan national (sur le modèle du prix du timbre) mais cette revendication intéressante risquerait, comme me le signalait Umberto Battist en fin de séance, de déresponsabiliser les territoires sur la gestion de leurs ressources en eau.
On ne peut pas demander aux usagers de se responsabiliser et d’exiger d’être associés et, dans le même temps, déresponsabiliser les élus !
Il n’est donc pas souhaitable par ailleurs que le débat public demeure exclusivement centré sur la tarification sans faire le lien avec le coût d’accès à la ressource et le niveau de prestation, c’est-à-dire la qualité de l’eau distribuée.
Car les pauvres ont aussi le droit de boire de l’eau saine.
Le bilan triennal sur la qualité de l’eau montre que 7 communes de l’Agglomération ont une eau du robinet certes qualifiée de potable mais non - conforme à la réglementation en matière de présence de pesticides (plus de 1 microgramme par litre : Jeumont, Feignies, Louvroil, Pont sur Sambre, Bachant et Marpent).
Depuis 10 ans, la situation ne s’est pas améliorée.
Il faut savoir qu’au-delà des pollutions mesurées régulièrement, ces pesticides peuvent, sous l’effet de réactions chimiques ou biologiques, donner naissance à de nouvelles molécules (les métabolites) peu étudiées et par conséquent à la toxicité souvent inconnue.
Il y a donc un gros travail à faire.
Sur le plan national, revoir le caractère inéquitable des redevances de lutte contre la pollution, assurées aujourd’hui à 85 % par les usagers contre 1 % pour l’agriculture.
Sans attendre l’approbation du SAGE, il faudrait engager rapidement une étude permettant de reconstituer le parcours des gouttes d’eau jusqu’au captage pour déterminer l’origine des différentes pollutions par aire d’alimentation de captage.
Améliorer la situation exigerait parallèlement de faire l’acquisition foncière des abords de captages pour les affecter au boisement ou à l’agriculture biologique.
Cela étant, la bonne conscience écologique, j’en conviens, ne règle pas la question de l’accès à l’eau pour les plus pauvres.
Personnellement, je me trouve tiraillé entre :
- une posture (« de gauche » ?) qui considère que l’eau est un bien de première nécessité et qu’elle doit être proposée pour le prix le plus bas possible,
- et une posture écologique selon laquelle l’eau n’est pas assez chère lorsqu’on voit le gaspillage et qu’il n’est pas pertinent de dévaloriser une ressource qui est en train de devenir rare.
Mais je me méfie des postures idéologiques…
Sans rentrer dans le débat aujourd’hui sur le mode de gestion (débat qui n’est pas limité à l’eau mais qu’on pourrait élargir au transport collectif ou aux pompes funèbres…)
On pourrait imaginer :
- que le prix de l’eau soit symbolique pour les mètres cubes nécessaires aux fondamentaux de la vie domestique (hygiène, cuisine et boisson)
- et que le coût soit ensuite majoré de manière à incorporer en quelque sorte la perte encaissée par l’exploitant sur les premiers mètres cubes.
Je constate qu’aujourd’hui, en dehors des 30 premiers mètres cubes facturés à un tarif préférentiel (choix des élus que je partage) le mode de tarification suit l’inverse de ce raisonnement puisque les industriels gros consommateurs d’eau bénéficient d’une tarification dégressive.
Pour terminer, je pense qu’il faut bien séparer les trois niveaux d’intervention :
- 1er niveau : en amont, celui de la stratégie politique (autorité politique locale)
En France, 40 % de l’eau potable est déjà puisée dans les cours d’eau avec les coûts de traitement que cela mais 60 % est encore puisée dans les nappes comme chez nous, mais une mauvaise gestion de la ressource (gaspillage , pollutions) peut nous obliger à traiter de plus en plus l’eau provenant des captages, ou aller chercher l’eau plus profondément ou encore à chercher de nouveaux captages.. avec bien entendu une répercussion sur le prix de l’eau,quel que soit le mode de gestion.
- 2e niveau : celui de l’exploitation (qui peut être public ou privé)
- 3e niveau : celui du contrôle et de l‘évaluation par une ingénierie de haut niveau, capable d’élaborer des critères de performance et d’être en mesure de les contrôler (évaluation (autorité politique locale).
On constate d’ailleurs que les usagers, présents aux niveaux 2 et 3 au travers de la commission consultative des services publics locaux (obligatoire), sont absents en amont et qu’il y a là un manque manifeste sur le plan démocratique.