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Le blog de Jean-Marie Allain

A LA RECHERCHE D’UN HUMANISME LAIQUE ET MODERNE

19 Novembre 2009 , Rédigé par Jean-Marie Allain Publié dans #SOCIETE

 

Derrière les projets politiques et les programmes qui en découlent se dessinent des modes de pensée qui plongent leurs racines dans l’antiquité.

 

L’humanisme comme théorie du juste milieu dans la pensée antique


L’opposition est récurrente entre les tenants de la rupture et ceux qui prônent des ajustements.

Du côté de la rupture, c’est maître Platon qui a le premier incarné
un principe de la vie éthique qui est à rechercher non pas dans l'expérience mais dans la théorie, ce qu’il appelle le " monde des idées ".
Le discours platonicien, construit sur l’axiome rationaliste, débouche sur des postures tranchées, quitte à plier la réalité sociale à ses exigences d’ordonnancement et à nourrir la rupture et le conflit.
La rupture, qu’elle soit prônée par N Sarkosy ou qu’elle se veuille anti-capitaliste sont , en ce sens, des postures idéologiques d’inspiration platonicienne et toujours susceptibles de déboucher sur une société totalitaire.
La république de Platon est d’ailleurs une république anti-démocratique, Platon considérant que la démocratie, c’est la porte ouverte à la démagogie et à la coalition d’intérêts catégoriels contre la justice (l’égalité hommes-femmes est imposée chez Platon).

Du côté de l’ajustement, c’est Aristote, l’élève de Platon, qui fait figure de référent pour tous les partisans d’une éthique fondée sur le juste milieu et qui défend l'idée selon laquelle, la vertu est toujours  à mi-chemin entre deux contraires, l'un par excès, l'autre par défaut.
Par exemple, le courage est le juste milieu entre la témérité  et la lâcheté.
De même la libéralité est un juste milieu entre la prodigalité  et l'avarice.

Ainsi l'homme juste est celui qui en toute chose sait discerner la voie moyenne et agir selon la mesure.
Il agira " comme il faut, quand il faut et où il le faut ", bref avec sagesse.
C’est dans le juste milieu que se trouve la vertu (in medio stat virtus), l’excès en tout est un mal.

Ethique fondée sur l’expérience (réaliste et empiriste) plutôt que sur les a priori dogmatiques, la théorie du juste milieu est élaborée par Aristote dans son Ethique à Nicomaque.

La théorie aristotélicienne du juste milieu (l'éthique de la médiété pour reprendre l’expression d'Aristote) fut remise au goût du jour par Saint-Thomas, qui a christianisé en quelque sorte la pensée d'Aristote une pensée dont on conviendra qu’elle recouvre bien la philosophie du Modem.

 

L’humanisme de la Renaissance

 

Sous l’impulsion du philosophe italien Pétrarque (XIVe siècle), on assiste, au XVe et XVIe siècle, à un retour aux valeurs de l’antiquité et à un renouvellement de la pensée avec Erasme, Rabelais et Montaigne.
Ces valeurs, quelles sont-elles ? Le pacifisme, le cosmopolitisme (voyage et ouverture à l’autre) – la suprématie des impératifs moraux sur les considérations politiques (clause de conscience) – l’importance de l’instruction qui doit viser des valeurs morales plus que l’érudition –

 

L’humanisme des Lumières

 

Les philosophes des Lumières intègrent les apports du raisonnement rationnel (Descartes / 17e) et de la pensée scientifique pour insister sur le respect de la dignité de l’être humain avec la dénonciation des préjugés dans la recherche de la vérité, le respect de la liberté de religion, la condamnation des violences faites à l’homme (torture, esclavage) et le rejet du fanatisme. 


Après la révolution française, la pensée républicaine voit s’opposer en son sein  les dogmatiques et les humanistes.

Vincent Peillon nous le rappelle dans son récent ouvrage.

Un  certain nombre de penseurs sont marqués par des aspirations spirituelles, parfois empreintes de religiosité.
Ils sont fortement attachés à la Déclaration des Droits de l’Homme, comme le député Edgar Quinet, comme Victor Hugo, ou encore Ferdinand Buisson l’un des fondateurs de la Ligue des Droits de l’Homme, le philosophe spiritualiste Charles Renouvier, le philosophe et ministre Jules Simon, le philosophe mais aussi diplomate à ses heures Henri Bergson, et bien entendu Jean Jaurès.

Quinet reprochait ainsi aux socialistes de son temps d’abandonner le terrain des superstructures et de laisser le champ libre à l’église, préoccupation que l’on retrouvera plus tard chez l’italien marxiste Gramsci.

Cette rivalité entre les conceptions de la République va imprégner la famille socialiste française, confrontée entre une tradition marxiste révolutionnaire, matérialiste et adepte des concepts de lutte de classes et de dictature du prolétariat et une tradition réformatrice, issue de la Deuxième République (1848-1851), fraternitaire,autogestionnaire, aux accents plus idéalistes et incarnée par Saint-Simon, Fourier, Proudhon,le fondateur des Ateliers Nationaux Louis Blanc, le ministre radical Ledru-Rollin….

Si la première conception a dominé la seconde, cela s'explique, aux yeux de l’auteur, par la violence de la critique de Marx qui attribue l'échec de la révolution de 1848 à son caractère utopiste, critique confortée par les libéraux de l'époque, Alexis de Tocqueville en tête.

Le rassemblement dans la SFIO en 1905 des partisans collectivistes de Guesde et des réformistes autour d’Aristide Briand et de Jean Jaures (qui avait été élu sous une étiquette modérée député du Tarn) illustre à cet égard ,au nom de l'unité, la soumission des réformistes à la phraséologie insurrectionnelle... pour le plus grand bonheur des libéraux.
Je précise que Jaures devra même consentir à accepter la censure à l’encontre des autres sensibilités socialistes, ce qui provoquera la colère de Charles Péguy qui décidera de créer son journal « la vérité ».

 

A la recherche d’un humanisme moderne

 

En juin 1936, l’Institut International de Coopération Intellectuelle, à la demande de la Société des Nations, a réuni à Budapest des savants, des philosophes et des écrivains parmi lesquels Paul Valéry et Thomas Mann pour réfléchir à ce que pourrait être l’humanisme moderne.

 

Au fil des entretiens, on discerne l’émergence de quelques idées fortes.

 

-    Sens de la responsabilité morale dans la recherche (le progrès technique n’étant pas synonyme de progrès moral)

-         Respect de la personne humaine et de son libre arbitre

-         Respect de la diversité humaine

-         Recherche d’une communauté spirituelle des êtres humains, voie de l’entente internationale

-         Retour à une conception modeste du bonheur, n’en déplaisent aux orgueilleux délires

-         Recherche de la justice et de l’équité

-         Objectivité et impartialité dans les jugements

-         Esprit de tolérance et d’équilibre

-         Apprendre à se dominer plutôt qu’à dominer les autres

-         Sens de l’engagement désintéressé

-     Sortir de sa sphère privée ou professionnelle pour se frotter aux autres et s’enfouir dans le quotidien des gens

-         Recherche d’une certaine sagesse, douceur et sérénité (contraire du fanatisme)

-         Respect du Passé, des traditions et des symboles

-         Privilégier le Beau et la vision poétique, porteuse de sagesse

-         Responsabilité éducative envers tous les citoyens, en particulier pour éviter la soumission au matérialisme

 

  Toutes ces idées s’appuyaient on s’en doute à la fois sur ce qui se préparait en Allemagne et sur ce qui se passait dans l’empire soviétique.

 

Reconnaissons de ce point de vue au trotskysme cette grande lucidité et ce grand courage d’avoir dès le début condamné les dérives d’un système qui, au nom de l’émancipation, allait accoucher de la dictature.

 

En France, Il faudra attendre au début des années cinquante Albert Camus pour initier la recherche d’un nouvel humanisme laïque et non marxiste.

 

A  André Jeanson, qui reprochait au grand écrivain d'avoir osé imaginer, dans son livre "l'Homme révolté ", qu'il puisse y avoir, une tradition révolutionnaire non marxiste, refusant les goulags, Albert Camus répondait :

" Je commence à être un peu fatigué de me voir, et de voir surtout de vieux militants qui n'ont jamais rien refusé des luttes de leur temps, recevoir sans trêves leurs leçons d'efficacité de la part de censeurs qui n'ont jamais placé que leur fauteuil dans le sens de l'histoire "

Puis, Edgar Morin, exclu du PCF en 1951 pour résistance au stalinisme,  publie en 1965 un ouvrage intitulé " Introduction à une politique de l'homme " dans lequel il explique qu’être humaniste, ce n'est pas croire à la bonté originelle de l'être humain mais considérer que la réflexion sur l'homme, sur ses bons et mauvais côtés, doit sinon prévaloir, du moins accompagner toute autre approche, fut-elle macro-économique.

Or, la limite de la pensée socialiste, c'est justement de considérer qu'il suffit de changer le mode de production pour créer un nouveau monde. Qu'il suffit en un mot de nationaliser les outils de production pour accoucher d'une société meilleure ... comme si la bonté naturelle des hommes faisait systématiquement progresser l'histoire du bon côté.

Mais le jaillissement de la barbarie au coeur de la société occidentale (avec le nazisme et le stalinisme) nous oblige à reconnaître que l'action des hommes (et donc leur part de folie et d'irrationnel) prévaut sur le déterminisme des systèmes.
Marx, enfermé dans une vision messianique du prolétariat, ne s'est jamais posé la question de savoir pourquoi la rareté des biens avait provoqué la guerre ou l'exploitation plutôt que la solidarité.

C'est cette conception partielle, atrophiée de l'homme qui a transformé la théorie socialiste en un dogme.

Sans jeter aux oubliettes les apports de la grille analytique qui permet de décrypter les mécanismes de l’exploitation et de la domination, il n'est jamais trop tard pour replacer l'homme à sa véritable place, c'est-à-dire à sa juste place, en harmonie avec la nature, et pas une nature asservie à l'homme.
Ce serait en effet une autre forme de dérive, bien connue dans nos sociétés occidentales productivistes.


La tradition humaniste, qu'elle s'inspire de la tradition judéo-chrétienne ou de la Renaissance, garde jusque-là cette particularité de mettre l'homme au centre de tout et surtout au-dessus de tout, ce qui l'a amené d'abord à tracer une frontière entre lui-même et les autres espèces vivantes, ensuite à reporter cette frontière au sein de l'espèce humaine où il  y aurait des fractions de l'humanité plus civilisées que d'autres (colonialisme) ou plus dignes de vivre que d'autres (fascisme).
C'est cet humanisme dévergondé qu'a très tôt dénoncé Claude Lévi-Strauss (qui se verra pour cette raison parfois reproché à tort son anti-humanisme) auquel il opposait le principe d'humilité : l'homme doit d'abord respecter toutes les formes de vie (animale, végétale) en dehors de la sienne et se mettre à l'abri du risque de ne pas respecter toutes les formes de vie au sein de l'humanité même.
 

Plus récemment, Vincent Peillon a choisi d’extirper ce refoulement des limbes de l’histoire et de renouer avec un débat étouffé plus que tranché. C’est ce qui lui faire dire que la Révolution n’est pas terminée et qu’il est plus que temps, à l’heure de l’évanescence du marxisme dogmatique dans le monde (mais pas tout - à - fait dissipé au PS si j’en crois la rhétorique redécouverte récemment chez certains de ses petits camarades) d’imaginer une République fraternelle, tournant le dos au sectarisme et aux oppositions stériles.

La république humaniste est une république fraternelle


Si Vincent Peillon se sent proche de la tradition spiritualiste et en particulier celle d’Edgar Quinet, c’est parce qu’il est convaincu que la République

« humanitaire » ou fraternelle doit aussi reposer sur une foi commune en l’humanité de chaque personne, par delà toutes les différences, en un mot reposer sur le principe de laïcité, cette dernière apparaissant de ce fait comme le coeur spirituel, la religion de la république démocratique et sociale (la laïcité , c’est le bien le respect des religions, pas le refus de celles-ci) et l'école comme l'outil assurant jusque là les fonctions dévolues à la religion.
Peillon souligne que c'est bien la vision de Jaures et que l'école, en ce sens, a le devoir d'une instruction morale plutôt que civique.

Les trois termes de la devise républicaine sont en ce sens indissociables. La liberté ne signifie rien si l'Etat n'offre pas, au travers d'une politique de justice fiscale et d'éducation (l'égalité des chances), à ceux qui sont le plus démunis par leurs origines sociales les moyens de sortir de leurs conditions. La liberté sans l'égalité est un mensonge, l'égalité sans la liberté est une caserne constate Vincent Peillon, reprenant en cela les propos du socialiste libertaire russe Bakounine qui disait déjà " la liberté sans l'égalité n'est que privilège, l'égalité sans liberté n'est que despotisme"

Quant à la fraternité, " l'impensé de la tradition politique française " selon Vincent Peillon, c'est pourtant la finalité même de la République, sa transcendance, celle du vivre ensemble, intérêt supérieur aux intérêts individuels et que l'école a pour tâche de préparer.

Si l’idéalisme est une vision intellectuelle, l’humanisme est une disposition, une posture éthique dans la vie de tous les jours.

Ce bref rappel n’est pas inutile dans un con texte où les constructions idéologiques qui ont longtemps dominé le monde (socialisme et libéralisme) se fissurent à vive allure.

« Si notre projet doit être humaniste, sans concessions, il devra s'imposer en dépit du capitalisme, et s'il le faut contre lui.
Le capitalisme est inégalitaire par essence et l'humanisme est égalitaire par vocation ».

François Bayrou (Entretien au journal Le Monde / 5 et 6 avril 2009)

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