Le Général avançait masqué
A celles ceux qui ont envie de mieux comprendre les coulisses de la guerre d’Algérie, je recommande vivement le livre de Franz - Olivier GIESBERT « Histoire intime de la Ve République : Le Sursaut » - (nrf /Gallimard).
L’auteur n’ avait que 5 ans lorsque débutèrent les évènements franco-algériens qui allaient, en réalité, devenir une guerre quelques années plus tard.
Il vivra viscéralement cette tragédie, mais l’âge et le travail d’écriture lui permettent aujourd’hui d’objectiver ce qu’il ressentit à l’époque, à savoir que la réalité est rarement noire ou blanche mais plus souvent un mélange des deux et que, comme il le rappelle en tête d’un chapitre, « en politique, comme dans la haute finance, la duplicité est considérée comme une vertu » (Bakounine)
Deux constats m’ont particulièrement marqués dans son brillant ouvrage.
D’une part, la prégnance ancienne chez de Gaulle du sentiment qu’il fallait en finir avec l’Algérie parce que ce pays serait « un boulet » pour la France comme le disait napoléon III, tant sur plan démographique que culturel, l’indépendance permettant de même de faire accéder les algériens à la dignité d’homme libres et d’autre part, l’existence, a contrario, chez un certain nombre de partisans de l’Algérie Française, qu’un projet de fraternisation et de société multiculturelle était possible.
Giesbert démontre au fil des pages que l’art du Général, ce sera d’avancer masqué, en feignant de partager dans un premier temps les vues des militaires partisans de l’Algérie Française pour mieux accéder au pouvoir… avant de leur tourner le dos pour mettre en place le référendum sur l’autodétermination, objectif qui était le sien depuis le départ.
La droite gaulliste, majoritairement coloniale (Michel Debré, Léon Delbecque, Alexandre Sanguinetti…), s’inscrit dans la tradition de Tocqueville qui justifiait en 1840 la colonisation au nom d’une visée émancipatrice à l’image d’un Jacques Soustelle, ethnologue de gauche devenu gaulliste après son ralliement aux Forces Françaises Libres. Cette droite considère que l’objectif est bien l’intégration des Algériens à la citoyenneté française, ce qui passe par la réconciliation et la nécessité de retrouver la confiance.
De Gaulle ne partage nullement cette vision, persuadé dès 1945 qu’il « convient de limiter l’afflux des méditerranéens et des orientaux qui ont , depuis un siècle, profondément modifié la population française », confiant en privé qu’il défend pour cette raison l’indépendance, même si, pour s’attirer le soutien de ses cadres et de l’armée, il se déclare partisan de l’Algérie Française, s’appuyant pour ce faire sur ses deux bras armés que sont le Général Jacques Massu et Raoul Salan, commandant supérieur interarmées de l’Algérie.
Ce sont eux qui seront à la manoeuvre pour organiser le coup d’Etat à Alger le 13 mai 1958, faisant planer une extension de l’opération sur l’hexagone, et poussant le Président du Conseil, René Coty, à remettre les clefs du pouvoir le 29 mai au Général de Gaulle, lequel forme un gouvernement avec Guy Mollet, le responsable socialiste de la SFIO.
Le Général est élu le 21 décembre 1958 au suffrage universel indirect (ensemble de grands électeurs). Une fois élu, il change de posture et parle d’auto-détermination. préparant les esprits au référendum sur l’indépendance.
De Gaulle reste persuadé qu’il faut se débarrasser de l’Algérie, la France n’étant pas capable, selon lui, d’absorber économiquement et culturellement le déferlement migratoire de millions de français musulmans.
Outre l’appauvrissement sur l’hexagone que provoquerait le coût du maintien de notre présence en Algérie, l’ assimilation n’est pour lui qu’une chimère, un « attrape couillon » comme il dit.
Il faut donc quitter l’Algérie, dût- il y avoir comme au prix à payer pour ce départ la création d’un Etat islamo-marxiste, policier et corrompu.
Les pieds noirs manifestent le 24 janvier 1961.De Gaulle n’exclue pas de faire tirer sur la foule.
Les gaullistes partisans de l’Algérie Française se sentent trahis devant une telle duplicité et le font savoir. Massu est démis de ses fonctions et Salan demande sa mise à la retraite.
Mais la rancœur est profonde chez ceux qui ne supportent pas que l’on ait envoyé des soldats à la mort pour un scénario aussi machiavélique.
S’estimant abusés par De Gaulle, quatre généraux (Maurice Challe, Edmond Jouhaud, Raoul Salan et André Zeller) tentent un putch à Alger le 21 avril 1961, tentative avortée au bout de quelques jours en raison du faible soutien des militaires que de Gaulle avait exhorté à la désobéissance et de la forte mobilisation d’union nationale organisée à Paris.
Challe est emprisonné mais les insurgés (gaullistes radicalisés et extrême droite) vont s’organiser autour d’Edmond Jouhaud et de Raoul Salan, tous les deux en fuite, en créant l’Organisation de l’Armée Secrète (OAS), responsable d’une série d’attentats.
En octobre, de Gaulle souhaite en finir au plus vite et enfonce le clou au conseil des ministres : « c’est une fiction de considérer ces gens là comme des français pareils aux autres ».
Il signe les accords d’Evian le 18 mars 1962 mais tout n’est pas terminé.
Le 26 mars, l’armée tire à Alger sur une manifestation pacifique organisée par les partisans de l’Algérie Française : 80 morts. Les attentats de l’OAS et du FLN perdurent des deux côtés de la Méditerranée.
Jouhaux est finalement arrêté et condamné à mort tandis que Salan, lui aussi arrêté, est condamné à perpétuité, excellemment défendu par Maître Tixier-Vignancourt qui transforme le procès en celui de Gaulle, provoquant la fureur de ce dernier.
Impitoyable, le général rejette la demande en grâce de Jouhaux malgré les insistances de Foyer, Malraux, Pompidou et Giscard d’Estaing.
La Cour de cassation ajourne néanmoins la mise à la mort laissant le temps aux deux prisonniers d’abjurer l’OAS de cesser ses combats.
Le premier obtiendra la grâce présidentielle en 1962, le second sera amnistié en 1968.
Qu’à cela ne tienne, De Gaulle ne s’opposera pas aux exécutions de ses anciens soutiens comme Degeldre ou Thiry, l’ingénieur militaire auteur de l’attentat du Petit-Clamart.
Les insubordinations militaires par contre se multiplient, certains comme le Général Larminat, Président du haut Tribunal Militaire et Compagnon de la Libération, préférant se suicider.
Le 8 avril 1962, le référendum en métropole obtient 90 % de oui, suivi d’un second référendum le 1er juillet 1962 en Algérie.
La France reconnait l’indépendance le 3 juillet 1962, laissant non réglée la question des harkis er des pieds noirs.
A la question qu’il avait posée à de Gaulle à l’issue d’un déjeuner, Albert Camus avait eu cette réponse laconique : « ils auront le sort qu’ils auront mérité ».
Tel était le général, décrit par Giesbert au fil du livre comme cynique, impitoyable, machiavélique, sournois, menteur, insensible, manœuvrier, sans vergogne.. mais lucide et visionnaire, c'est indiscutable.
Tout sauf naïf le général, moins naïf que certains généraux comme Massu, le grognard, partisan de l’Algérie Française mais resté gaulliste en toutes circonstances comme en témoigne cet échange légendaire :
« Alors Massu, toujours aussi con ? » « Toujours gaulliste mon Général ».
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