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Le blog de Jean-Marie Allain

L'Europe des rails

8 Mars 2018 , Rédigé par Jean-Marie Allain

« Alors Monsieur le maire, vous allez manifester votre solidarité cheminote ? » me lance cet après-midi le président du club des retraités du rail, entouré de ses ouailles en train de jouer aux cartes à la médiathèque.

Il est vrai qu’en tant que « fils et petit-fils de cheminots », comme il me présente souvent lors des rassemblements festifs, la question est presque naturelle et je la comprends à la fois comme une marque de sympathie, non exempte toutefois d’une arrière-pensée inquiète.

Car en effet, le débat est au coeur de l’actualité depuis quelques jours, le statut des cheminots étant au centre de toutes les discussions.

C’est en effet l’enjeu le plus symbolique du débat mais est-ce pour autant le plus important ?

Que la question du statut des cheminots mérite d’être posée et traitée n’est pas en soi scandaleuse si on aborde le sujet sans tabous, ni préjugés.

Or, le traitement médiatique du dossier met en avant cette question du statut, parce que symbolique et parlant aux français,  comme si se trouvait-là la raison essentielle du déficit de la SNCF.

Il convient de distinguer les deux sujets.

La question du statut se poserait, même sans déficit, au même titre qu’elle s’est posée pour l’armée et qu’elle se posera pour d’autres statuts dits « protégés ».C’est une question d’équité.

Quant au déficit, je suis consterné que le débat ne soit pas replacé dans la problématique plus globale des transports et de la mobilité dans la mesure où le développement foudroyant et continue de l’automobile a bouleversé les modes de déplacements, incitant les collectivités publiques à investir dans l’infrastructure routière au point de vider les rames sur certains trajets et d’aboutir, à certaines heures, à un engorgement du trafic, au point de redonner une crédibilité au rail sur les lignes TER qui gardent, grâce aux investissements des Régions, une réelle attractivité.

Le doute vise donc les fameuses lignes « inter-cités », en tout cas les plus déficitaires parce que ‘elles sont concurrencées par la route, moins chère et parfois même plus rapide compte-tenu du matériel roulant obsolète utilisé sur le rail, mais aussi grâce ou à cause des investissements publics  qui ont été réalisés dans un réseau routier devenu plus attractif que le rail.

De Maubeuge, on peut aller à Paris par le train mais on peut aussi le faire en prenant l’autoroute à Valenciennes ou même la RN2, directe et gratuite et qui deviendra encore plus attractive au fur et à mesure de son doublement !

Lorsqu’un élu du territoire s’implique dans l’amélioration de la RN2 au nom de la lutte contre le désenclavement et qu’il réclame « en même temps » le maintien de la fréquence des liaisons ferroviaires avec la capitale, ne joue - t-il pas sur deux logiques contradictoires ?

Avant même de parler d’ouverture du marché à la concurrence, force est de reconnaître que le problème premier réside bien dans une concurrence entre la route et le rail, ce dont on parle peu : la même occultation du rôle de la voiture, alliée à la complaisance des politiques locales, empêche de comprendre le déclin des centre- villes.

La France, de ce point de vue, n’a jamais favorisé le rail, pourtant écologiquement supérieur à la route, se limitant à développer le Train à Grande Vitesse, pour des raisons d’image, de clientèle socialee et de prouesse technologique mais laissant partir à la dérive le fret et les lignes inter- cités, ces dernières étant devenues les Trains d’Equilibre du Territoire (TET) .

Cette fracture entre la France TGV et la France TET résonne comme un écho à la fracture entre métropole et territoires périphériques.

Or, en application des directives européennes, ces lignes TET feront dès 2019  l’objet d’une mise en concurrence entre opérateurs privés et SNCF.

Et il n’est sûr que ces opérateurs se bousculent pour reprendre les lignes déficitaires. D’où l’intérêt, en ce qui nous concerne, de développer le potentiel de clientèle en travaillant avec nos amis belges, sujet sur lequel notre intercommunalité a pris un énorme retard.

L’Etat, s’il renonce à intervenir pour assurer la solidarité nationale entre les territoires, sera débarrassé de la « patate  chaude », laissant aux Régions le choix, si elles le souhaitent, de subventionner ces lignes... en augmentant les impôts ou de faire une croix sur la desserte, à charge pour les territoires de se consoler en inventant les voies vertes du XXIe siècle (après tout, on est déjà passé là avec la disparition des petites lignes).

Car la défense des lignes TET suppose un examen précis des raisons de leurs difficultés et de leur potentiel. Il est normal que la collectivité finance  un déficit si la ligne remplit un serice public, sans tomber toutefois dans le ridicule. Pas à n’importe quel prix en quelque sorte.Tout est donc question de «  seuil » dans ce débat.

Faute d’un véritable débat sur l’aménagement du territoire et les transports, l’opinion publique, emmenée par les médias,  se focalise  sur le statut du cheminot, «  totem emblématique du service public » comme le résume Elisabeth Lévy dans l’édito de « Causeur » de ce mois-ci «  «  La république des rails ») et incarnation d’un système qui, s’il avait des défauts, a permis, comme elle l’explique, d’accueillir une population rurale qui cherchait du travail (localement, je me souviens que beaucoup de cheminots venaient de l’Aisne) et d’apporter la connaissance et la culture à des populations qui, sans cela, n’y avaient pas accès : ceux qui ont passé comme moi leur enfance dans une cité cheminote n’oublient  pas qu’ils y ont appris, puisque nous avions stade et centre social, la pratique de nombreux sports, la découverte des livres et même les cours de cuisine !

La politique sociale de la SNCF était même quelque peu avant-gardiste pour l’époque, au même titre que leurs cités -jardins, constituées sur une base communautaire (l’appartenance professionnelle) mais socialement diversifiée (de l’ouvrier au chef de gare).

La SNCF, on le voit, n’a pas attendu la mondialisation et l’ouverture à la concurrence pour remettre en cause ce modèle d’organisation sociale et spatiale.

Au vu de tous ces éléments, je répondrai à mon cher Président des retraités du rail que si je ne suis pas solidaire sur la question du statut des cheminots, je le suis sur la défense de la cohésion territoriale et que je désapprouve donc cette ouverture à la concurrence, suite logique de mes votes négatifs successifs aux différents traités européens (qu’ont voté la plupart de ses camarades socialistes). dans l’esprit de la désapprobation du Traité de Rome par  Pierre Mendes-France qui avait, le premier, anticipé ce que deviendrait une Europe trop axée sur l’économique.

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