Gouvernance intercommunale et légitimité démocratique
Dans une démocratie dite représentative (à distinguer de la démocratie grecque, qui s’est construite sur l’exclusion, notamment des femmes et des esclaves), et avec un système d’élection au suffrage universel direct, la responsabilité de l’électeur est totale.
Il élit un responsable pour que celui-ci prenne des décisions théoriquement à l’aune de ses convictions et de ses valeurs. Pourtant, celui qui est élu n’est pas forcément le plus compétent, le plus honnête mais au contraire parfois le plus habile, le plus démagogue, le plus manipulateur, le plus séducteur et/ou le plus doté de moyens de communication.
Platon a pointé, il y a plus de vingt siècles, les limites d’un tel système où les démagogues livrent aux citoyens les discours qu’ils ont envie d’entendre, flattant leurs pulsions, au risque de voir s’imposer un régime qui favoriserait les groupes d’intérêt usant de leur poids électoral au détriment des minorités et incapable de prendre des décisions courageuses parce que gouverné par la loi de la médiocrité.
Cette puissance de la communication et en particulier de l’art de la rhétorique et des discours d’estrade au service d’une ambition de pouvoir étant largement influencée par le niveau socio-culturel, elle explique que les assemblées ne soient pas finalement représentatives du peuple qui va pourtant voter pour ces « doués de la parole », fussent-ils par la suite des despotes ou des dictateurs.
Anna Arendt résumait tout cela fort de manière tranchée en écrivant que « la véracité n’a jamais figuré au nombre des vertus politiques et le mensonge a toujours été considéré comme un moyen parfaitement justifié dans l’action politique ».
Le peuple, par trop crédule, aurait ainsi les dirigeants qu’il mérite (Joseph de Maistre /XVIIIe), à savoir très souvent des dirigeants du démérite, ce qui avait amené Rousseau, puis Proudhon, en leur temps, à rejeter la démocratie considérée comme la « négation de la souveraineté du peuple, et le principe de sa ruine… » (Proudhon), partant du principe que la volonté ne se délègue pas.
Et, pour éviter les dérives toujours possibles, certains ont imaginé des garde-fous comme le Fédéralisme proudhonien (pour empêcher la formation d’un Etat central tout puissant), le nécessaire équilibre des pouvoirs (Montesquieu, Alain) ou l’indispensable implication citoyenne dans les affaires publiques qui en découle, option que Pierre Mendes – France a brillamment incarnée et qu’il formalise dans son ouvrage « la république moderne ». « Tout homme qui a le pouvoir est porté à en abuser ; il va jusqu’à ce qu’il trouve des limites..Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir » pense Montesquieu.
Alain fera le même constat : «Un pouvoir sans contrôle est fou… Un peuple n’est libre que dans la mesure où il n’abdique pas l’exercice de la souveraineté entre les mains d’une seule Assemblée, d’un seul parti, d’un seul homme ».
Jaurès pense la même chose lorsqu’il affirme que le prolétariat « ne doit jamais s’abandonner complètement à aucun homme » car chacun peut un jour trébucher ou errer. « Quand une politique est abandonnée par ceux qui ont été élus pour la faire – écrivait de son côté Mendes-France -, on les considère comme des incapables ou comme des trompeurs. La réprobation morale s’ajoute à la condamnation politique, et la pensée tend à se faire jour que par l’effet de quelque vice incorrigible et caché, le régime ne porte au pouvoir que des représentants indignes ».
Or, pour lui, le risque de cet abandon, c’est que les citoyens perdent tout intérêt à la vie publique et rendent la démocratie responsable de ce gâchis, l’essentiel étant que ceux-ci s’impliquent en nombre dans les activités d’intérêt collectif, partout et à tous les niveaux.
Un tel objectif représente un redoutable enjeu pour l’éducation puisqu’il suppose d’avoir une jeunesse forgée à l’esprit critique, ouverte à la question du bien public et débordant d’appétence pour s’y investir.
Il existe toutefois des situations dans lesquelles le citoyen n’est pas responsable des gouvernants, c’est le cas où justement ces gouvernants ne sont pas élus directement par le peuple.
Si l’on exclut la royauté et la dictature, il est en effet des situations dans une démocratie où les citoyens se retrouvent avec des dirigeants qu’ils n’ont pas choisis. C’est le cas des élections où les dirigeants ne sont pas élus au suffrage universel direct : le maire est ainsi élu par son conseil municipal mais n’est pas forcément celui qui arriverait en tête comme on le constatait là où il y avait du panachage.
Il en est de même de l’exécutif d’une intercommunalité où l’accès au pouvoir ne se fait aucunement au prorata des suffrages exprimés à l’échelon municipal mais selon des arrangements entre partis avant le vote des conseillers communautaires, un vote très loin des attentes du citoyen, au point que « les plus mal élus » dans leur commune peuvent se retrouver au pouvoir d’une intercommunalité et inversement.
La démocratie représentative locale présente donc de sérieuses limites puisque les habitants peuvent se retrouver avec des dirigeants qui n’auraient probablement pas été élus au suffrage universel direct.
Dans l’attente peut-être un jour de l’élection des conseillers communautaires au suffrage universel direct, l’actuel fléchage sur les listes municipales se résume à une imposture électorale puisque l’électeur ne peut dissocier les élus qu’il envoie au conseil municipal et ceux qu’il souhaite envoyer à l’intercommunalité.
Admettons cependant avec Shumpeter que la démocratie représentative présente l’avantage d’être le régime politique par lequel la désignation des dirigeants ne repose ni sur la naissance, ni sur la violence, ce qui fait, comme disait Winston Churchill, que finalement «elle est le pire des régimes, à l’exception de tous les autres ».
Partager cet article
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :